Intérêt du transfert des genes chez les poissons
Depuis 1985, date à laquelle le premier poisson transgénique a pu être obtenu, de nombreux travaux sont conduits dans le monde pour améliorer la technique de transfert de gènes et pour identifier les séquences génomiques intéressantes. Les principales améliorations attendues de cette technique sont l'augmentation de la vitesse de croissance des poissons (domaine dans lequel des résultats positifs ont déjà été obtenus), de la résistance au froid et, à plus long terme, de la résistance à certaines maladies.
Alors que des mammifères transgéniques ont pu être obtenus dès le début des années 80, il a fallu attendre le milieu de celles-ci pour voir apparaître les premiers travaux consacrés aux poissons.
Chez ces derniers, le transfert de gènes pourrait être économiquement intéressant en amenant une amélioration de leur vitesse de croissance, de leur résistance au froid et à certaines infections virales. Par ailleurs, les poissons constituent un bon modèle d'étude, une femelle pouvant produire de plusieurs centaines à plusieurs milliers d'oufs identiques, à fécondation externe, dans lesquels l'insertion d'ADN est relativement aisée (10 à 70 % d'obtention de poissons transgéniques).
Cette insertion peut se faire à l'aide de plusieurs techniques : microinjection, électroporation, utilisation de vecteurs (spermatozoïdes .. ). L'insertion de matériel génétique à l'aide de rétrovirus est une technique séduisante, mais l'absence de rétrovirus spécifiques connus ne permet pas à l'heure actuelle de l'employer chez les poissons.
Le premier poisson transgénique contenant le gène de l'hormone de croissance humaine a été obtenu en 1985. Depuis cette date, de nombreux travaux ont été menés, qui ont permis d'intégrer des gènes exogènes, codant pour l'hormone de croissance chez différentes espèces de poissons, ces gènes étant ensuite transmis à la descendance lors de la reproduction sexuée de l'animal. Dans certains cas, cette insertion s'est traduite par une vitesse de croissance améliorée. Ce résultat apparaissant insuffisamment reproductible, le développement de souches commerciales de poissons transgéniques n'a pas encore atteint le stade commercial.
Alors que dans certaines parties des océans Arctique et Antarctique la température de l'eau descend en hiver à - 1,4/-1,9°C, de nombreuses espèces de poissons, dont le saumon de l'Atlantique, meurent à -0,7°C, contrairement à certains poissons plats, comme Pseudopleuronectes americanus. Cette résistance résulte de la présence dans le sang de polypeptides (antifreeze polypeptides ou AFP), produits grâce à une famille spécifique des gènes. La séquence génomique correspondante a pu être déterminée, et des équipes américaines et canadienne ont tenté de la transférer dans le génome du saumon de l'Atlantique. Ce transfert a pu être effectué et l'expression des gènes a été récemment obtenue, à un niveau toutefois insuffisant pour être efficace.
L'amélioration de la résistance aux maladies reste, elle, un objectif à long terme. En effet, aucun gène spécifique de ce type de résistance n'a encore pu être identifié. Ce sujet fait cependant l'objet de nombreuses études et il pourrait constituer à l'avenir le principal intérêt de la transgénèse chez les poissons.
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En principe, un gène accélérant la croissance est avantageux. Mais une expérience démontre qu'il peut anéantir une population en quelques générations. Et il suffit d'un seul individu pour transmettre ce " gène de Troie " à toute l'espèce.
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[OGM] STOP : Les truites et les saumons transgéniques, avec ou sans arêtes?
Quelles précautions imposerait la présence de poissons transgéniques dans les élevages ?
La transgénèse se pratique assez couramment chez les poissons dans un but scientifique, mais les particularités biologiques de ces espèces nécessitent une approche particulière des conséquences des transferts de gènes.
L'utilisation de géniteurs à stérilité contrôlée pourrait apporter une solution. D'autres travaux permettent de mieux cerner les risques, notamment à long terme.
Bernard Breton et Patrick Prunet Unité de Physiologie des Poissons, INRA Rennes
Depuis les premiers résultats montrant que l'introduction d'un gène étranger pouvait se faire avec une haute efficacité chez la truite arc-en-ciel, l'introduction par transgénèse de gènes présentant un intérêt économique ou environnemental chez certaines espèces de poissons a donné lieu à de nombreux travaux chez les poissons d'élevage. Parallèlement, cette technique est couramment mise en oeuvre pour le développement de modèles biologiques dans le but d'étudier la régulation de l'expression de gènes ou de fonctions biologiques. Les problèmes posés par rapport à l'impact environnemental ne sont pas les mêmes dans les deux cas. On peut en effet considérer une progressivité des risques, en fonction des espèces utilisées et des structures d'élevage dans lesquelles elles seront maintenues.
Passage accidentel dans les rivières
La plupart des modèles transgéniques destinés à des études en laboratoire sont développés sur des espèces d'origine tropicale (medaka, poisson zèbre), nécessitant des températures élevées et un environnement physique adéquat pour leur reproduction et leur survie. Le passage accidentel de tels poissons dans les rivières ne peut donc avoir que des effets très limités et transitoires dans les eaux tempérées européennes dans lesquelles ces conditions ne sont pas réunies. De plus, quelle que soit l'espèce, les systèmes d'élevage utilisés pour la recherche sont la plupart du temps sous couvert de bâtiments avec des barrières physiques adaptées et un traitement des effluents excluant toute possibilité de contamination génétique extérieure. Les systèmes hors-sol découverts représentent un niveau plus important de risques s'il n'existe pas de barrière physique en sortie et si les effluents sont rejetés à la rivière sans traitement préalable. La prédation possible de poissons par les oiseaux qui en laissent échapper et leur rendent ainsi la liberté représente aussi un risque non négligeable. L'utilisation de méthodes de confinement physique (filets aériens, tamis, systèmes de traitement des eaux, hangars...) permet cependant de prévenir ces "fuites". Les risques les plus importants sont liés à l'élevage des poissons transgéniques en systèmes semi-naturels ou à leur utilisation en aquaculture. Les installations piscicoles dans leur conception actuelle n'offrent en effet aucune garantie contre les risques d'échappement et sont soumises à des paramètres incontrôlables souvent d'origine climatique (crues, tempêtes, etc.). Il est donc important avant toute utilisation dans ce contexte que les effets de l'introduction du gène étranger soient parfaitement évalués, notamment du fait des particularités de reproduction de ces espèces.
Chez la plupart des espèces d'intérêt aquacole la fécondité est importante, pouvant aller de quelques centaines d'oeufs par kilogramme chez le tilapia, à 1500-2000 chez les salmonidés et à quelques centaines de milliers chez la carpe et la plupart des espèces marines. Si cette fécondité, se traduisant par la production d'un stock d'oeufs possédant un patrimoine génétique identique, est un avantage pour la production des poissons transgéniques en grande quantité, elle constitue aussi un facteur de dissémination potentiel beaucoup plus important que chez les espèces terrestres. Parallèlement, à l'intérieur d'une même famille, les possibilités d'hybridation interspécifique sont importantes, pouvant conduire à des hybrides féconds. Le contrôle de la reproduction des poissons transgéniques est donc essentiel pour éviter les impacts environnementaux de telles populations. La production de poissons transgéniques stériles pour l'aquaculture est une précaution minimale en l'absence de connaissance de leur impact sur les écosystèmes aquatiques.
Méthodes de stérilisation
Des méthodes de stérilisation par modification du stock chromosomique des oeufs au cours de la fécondation ou par traitement hormonal des alevins ont été mises au point. Ces méthodes ne touchent pas les géniteurs transgéniques, dont le maintien en système contrôlé reste nécessaire. Ils doivent être sacrifiés après reproduction. Cette solution n'est possible que pour les espèces arrivant à maturité sexuelle totalement en captivité, tels les salmonidés, mais ne l'est pas pour les espèces maturant en milieu naturel ou semi-naturel comme celles de la famille des carpes par exemple, qui doivent être maintenues en étang durant la majeure partie du cycle sexuel.
Les travaux menés actuellement au laboratoire de Physiologie des Poissons de l'INRA dans le cadre d'un programme européen "Biotechnologie" explorent une autre voie. Il s'agit d'obtenir par double transgénèse l'introduction d'un gène étranger intéressant, et l'extinction du gène d'un facteur cérébral impliqué dans le contrôle de la reproduction, qui laisse toutefois fonctionnelles les activités des gonades. Ce procédé aurait l'avantage de donner des animaux stériles mais qui pourraient produire transitoirement, par traitement hormonal, du sperme porteur du caractère de stérilité et assurer ainsi le maintien de la nouvelle lignée tout en la gardant stérile.
La stérilisation pourrait cependant ne pas résoudre l'ensemble des problèmes. Les transformations génétiques liées à des transgènes peuvent en effet se traduire par des modifications physiques dont les effets sur les écosystèmes doivent être préalablement évalués. Ces transformations sont d'autant plus difficiles à prévoir dans leur ensemble que les techniques de transgénèse actuelles ne permettent pas le contrôle des sites d'insertion du transgène dans le génome, et que des insertions multisites ne peuvent être éliminées. Des transformations liées à la création ou à la suppression d'interactions entre deux gènes sur le même chromosome pourraient aussi se produire, modifiant des fonctions non ciblées par la transgénèse. L'utilisation de promoteurs non tissus-spécifiques renforce encore ce problème : elle peut conduire à l'expression de gènes dans des organes autres que ceux concernés normalement, dont les conséquences ne peuvent être prévues.
Les poissons sont également très fortement soumis aux facteurs du milieu, et mettent en place des mécanismes d'adaptation. Ces facteurs peuvent influencer l'expression visible des transformations génétiques. L'expression de ces mécanismes adaptatifs est souvent liée à la préservation de la diversité génétique. L'introduction dans un milieu de poissons transgéniques féconds pourrait la réduire à long terme. Une meilleure connaissance des effets des facteurs du milieu sur l'expression des gènes est donc nécessaire chez les poissons.
Les risques à long terme
Bien que nous manquions de données sur le degré de transformation induit par les transgènes sur plusieurs générations à long terme, certaines de ces transformations et des risques associés potentiels ont été identifiés :
* des modifications des besoins énergétiques, et de la taille des animaux pourraient se traduire par une maturation sexuelle précoce, l'apparition possible de dominance, de cannibalisme, une compétition accrue pour les ressources alimentaires, l'exploitation de niches alimentaires anormales, pouvant entraîner des déséquilibres de populations. Les modifications induites par des transgènes concernant l'hormone de croissance entrent dans cette catégorie ;
* l'introduction de certains gènes étrangers pourrait aussi modifier la tolérance à des facteurs physiques du milieu et entraîner une modification des habitats préférentiels, des aires de répartition et de compétitions intra et inter-spécifiques. Par exemple, des modifications provoquées par des transgènes codant une protéine dite de résistance au froid, isolée chez des espèces telle la morue, pourraient induire une tolérance à des très basses températures. Une autre modification serait susceptible de produire des poissons possédant des capacités adaptatives nouvelles à la salinité des milieux. Dans ces deux cas, il n'est pas impossible d'imaginer la colonisation de nouveaux milieux par les espèces transgéniques qui y seraient introduites ;
* des changements comportementaux dont l'origine est multiple et souvent liée à plusieurs facteurs, peuvent être suspectés pour la plupart des transgènes modifiant les systèmes endocriniens. Il pourrait s'agir de comportements territoriaux, de migration, de reproduction, alimentaires modifiant l'ensemble des équilibres des écosystèmes aquatiques ;
* une modification du système immunitaire, la résistance à des maladies sont actuellement recherchées bien qu'aucun transgène induisant ces types de modifications n'ait encore été produit. Il est évident que des déséquilibres de populations pourraient en résulter ;
* l'altération des capacités de reproduction par transgénèse pourrait se traduire par exemple par l'hypo ou l'hyper prolificité de certaines espèces, et par leur reproduction précoce consécutive à une accélération de la croissance...
Il ne s'agit que d'exemples et d'hypothèses. Cette liste non limitative met en relief la complexité des problèmes à prendre en compte, et l'impossibilité d'apporter des réponses a priori. Pour les poissons peut-être plus que pour d'autres espèces de vertébrés, il est nécessaire de mettre en place des travaux pluridisciplinaires, allant de l'écologie à la biologie moléculaire, pour apporter toutes les sécurités à l'utilisation d'animaux transgéniques. Ces travaux doivent prendre en compte la complexité d'organisation et la fragilité des écosystèmes aquatiques. Un recours à des simulations en milieux naturels reconstitués et à des modélisations des impacts possibles est nécessaire pour fonder toute législation future sur des bases scientifiques reconnues et éviter les réglementations a priori.
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