Commercialisation prochaine de poissons transgéniques
La commercialisation prochaine de poissons transgéniques dans différents pays constitue une menace majeure pour les espèces sauvages, si importante qu'elle justifie l'interdiction par convention internationale de cette nouvelle stratégie de production en voie de prendre le relais des pêcheries classiques.
C'est ce qu'affirme un rapport produit par des chercheurs de l'Université de Purdue, en Indiana (US), cité hier par Greenpeace à l'occasion d'une conférence de presse destinée à marquer les travaux d'envoi, à Montréal, de la conférence internationale sur la biosécurité.
Déjà, hier, les délégations de plusieurs des 130 pays attendus ont commencé à se réunir selon leurs affinités et positions dans ce dossier controversé. La délégation la plus ciblée par les écologistes du monde entier, soit le Club de Miami, dont font partie le Canada et les États-Unis à titre de producteurs d'espèces transgéniques, se réunissait à l'hôtel Radisson dans la plus stricte intimité. La conférence de Montréal sur la biosécurité se situe dans le prolongement de la Convention de Rio sur la biodiversité.
Elle vise à déterminer les règles du commerce ou du non-commerce international des produits transgéniques mais aussi des espèces dites améliorées qui, dans plusieurs pays, ont déjà fait disparaître le capital génétique mis au point par la nature pendant des centaines de milliers d'années d'évolution. Les mésaventures de l'aquaculture en Europe ont rendu ces pratiques fort impopulaires alors qu'en Amérique, on les présente comme les voies de l'avenir!
La conférence officielle s'ouvrira lundi après que les trois principaux camps, les pays producteurs, l'Europe et les pays en voie de développement, auront mis au point leurs stratégies respectives. Les premiers jours de la conférence vont permettre aux hauts fonctionnaires assignés au dossier depuis deux ans de tenter de rapprocher les vues opposées des différents camps. Les ministres de l'Environnement de plusieurs pays vont prendre le relais à compter du milieu de la semaine prochaine pour tenter de trancher dans les différents scénarios mis au point par les négociateurs.
Pour Greenpeace, la modification génétique de poissons commerciaux devrait être carrément interdite. Le groupe international, un des plus actifs dans ce dossier, estime même qu'il faudrait interdire la recherche et le développement d'espèces transgéniques puisque, selon l'étude de l'Université de Purdue, il suffit qu'on laisse échapper un seul de ces "poissons Frankenstein" ou quelques oeufs fécondés dans les eaux de lavage de bassins pour que leurs caractéristiques soient transmises à l'espèce sauvage dont ils sont issus, pour l'amener progressivement par la suite au bord de l'extinction. Le problème serait d'autant plus grave, soutiennent les porte-parole de Greenpeace, que les "poissons ne connaissent pas de frontières" et que la dissémination d'individus transgéniques risque fort de frapper non pas des cheptels locaux mais des espèces au grand complet.
Les avantages économiques des poissons transgéniques, qui grandissent plus vite et avec moins de nourriture que les espèces sauvages, ont incité jusqu'ici la société canado-américaine A/F Protein à préparer la production commerciale pour l'an prochain d'un saumon atlantique transgénique, auquel on a greffé des gènes de croissance d'un collègue du Pacifique, en l'occurrence un saumon Coho, véritable géant des mers. Ce "saumon Frankenstein" croîtrait de quatre à six fois plus vite, avec 25 % moins de protéines. Il y aurait, selon Greenpeace, plus de 100 000 saumons de ce type dans des réservoirs qu'on prétend étanches, ce qui s'avérerait à long terme une pure utopie, soutient l'étude américaine. Sur la côte ouest, ce sont même les chercheurs de Pêches et Océans, en principe les gardiens des mers, qui travaillent à la mise au point d'autres variantes transgéniques des espèces locales, ce qui peut expliquer la position favorable d'Ottawa envers la commercialisation des espèces conçues par ordinateur...
L'étude américaine citée hier par Greenpeace soutient que, les poissons transgéniques étant plus gros, ils deviennent immédiatement les préférés des femelles sauvages, ce qui modifie en quelques générations le capital génétique qui a mis des millénaires à se constituer par sélection naturelle. Par ailleurs, comme les rejetons auront progressivement une capacité de reproduction moindre, l'espèce sauvage perdra progressivement du terrain, par concurrence dans l'écosystème et par réduction de son bagage génétique protecteur, ce qui pourrait la conduire à terme à la disparition.
Les impacts environnementaux attribuables à ces nouveaux venus sont incontrôlables, précise l'étude, et peuvent provoquer des déséquilibres environnementaux majeurs. De plus gros poissons peuvent se concentrer sur des proies laissées en paix jusqu'ici et exiger à la fois une plus grande part des proies traditionnelles. On mesure les déséquilibres possibles quand une espèce naturelle comme la perche du Nil a pu, en moins d'une décennie, faire disparaître 50 % des espèces du lac Victoria, en Afrique, après y avoir été introduite. On connaît au Québec les ravages causés par l'introduction de simples ménés dans des lacs à truites, ce qui suffit à provoquer des baisses de populations pouvant atteindre 50 à 60 % en quelques années.
Actuellement, la mise au point de poissons transgéniques destinés à la consommation humaine prend les allures d'une course technologique débridée. Des sociétés commerciales tentent présentement d'introduire des gènes de croissance d'origine humaine ou animale dans des poissons comme le saumon, la carpe, la truite, le médaka (Japon) et le tilapia,dont la production viendrait même d'être autorisée à Cuba... Des travaux de cet ordre sont en cours actuellement non seulement aux États-Unis, au Canada et à Cuba, mais aussi en Nouvelle-Zélande, en Israël, en Thaïlande, au Royaume-Uni et en Chine. Comme on commence à l'entrevoir en agriculture, le recours aux espèces transgéniques n'est pas nécessairement un gain pour l'ensemble des secteurs économiques en cause. C'est ainsi qu'en 1998 la International Salmon Growers Association a voté par une écrasante majorité une politique visant à interdire à ses membres de se lancer dans l'aventure du transgénique, d'autant plus que même la stérilisation des stocks - une technique conventionnelle - n'est pas totalement sécuritaire et qu'un surcroît de production n'est pas le bienvenu sur un marché taxé de surabondance, comme l'illustre la chute des prix, lesquels sont passés en 10 ans de 6 $ à 2 $ la livre au niveau des pêcheurs.
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